Le « Répertoire des bals »

Lorsque paraît en 1762 le Répertoire des bals du Sieur de La Cuisse, la contredanse française est relativement bien définie : danse de pas et de figures décrite dans la préface du Répertoire, la pratique des contredanses connaît une croissance exponentielle à partir des années 1760, ce que révèle l’entreprise éditoriale qui l’accompagne : une production remarquable de partitions vendues à l’unité, sur un même modèle, rassemblant une page de titre, une page de description verbale de la danse, une page de diagrammes ou « plans » de la danse dessinant sur le papier le chemin des figures et les positions des danseuses et danseurs, et une page consacrée à la musique. Les premières parutions proposent également un couplet, rapidement abandonné. 

Comme le remarque Jean-Michel Guilcher (GUILCHER, 2003/1969), il a longtemps été difficile de cerner leur quantité exacte, de reconstituer des séries, des ensembles, malgré la présence de numéros de volumes et de feuilles pour une grande partie de ces partitions, et de rares catalogues. Les partitions se trouvent ainsi en recueils éditoriaux, recueils factices et feuilles libres (voir Toulouse et ensemble de la Bibliothèque-musée de l'Opéra). 

La base de données « Répertoire des contredanses (1762-1788) » entend désormais proposer de manière quasi exhaustive ces partitions publiées sur plus de vingt ans à partir d’une enquête menée dans plusieurs bibliothèques en France et à l’étranger : le croisement des recueils permet ainsi de reconstituer plusieurs séries éditées principalement par de La Cuisse, Landrin, Lahante, Bouin, Bacquoy-Guédon et Dubois. 

Ce sont ainsi des chronologies qui se reconstituent, des catalogues entiers de contredanses qui témoignent non seulement d’une évolution des pratiques des danses de société dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, mais aussi d’une histoire culturelle que suggèrent les titres (faits divers, Guerre d'indépendance américaine, lieux de villégiature, etc.), les références, les acteurs et les mentions apposées sur les pages de titre, les ex-libris et les annotations.

La danse et l’histoire de l’estampe

Si notre intention ici est bien de mettre à disposition un outil nouveau pour l’histoire de ces pratiques, il s’agit aussi de mettre en évidence des corpus méconnus pour l’histoire du livre, de l’estampe et des sociabilités au XVIIIe siècle. L’analyse des acteurs et notamment des réseaux de graveurs et graveuses impliqués dans la production de ces partitions atteste d’une grande variété technique de production des estampes, selon les spécialités de chacun.

Le graveur Gabriel de Saint-Aubin participe aux premières publications, avec des formules complexes de partitions associant représentation des déplacements et représentations en pied des différents danseurs : aux signes s'ajoutent les figures d'Arlequin et Arlequine, Polichinelle et Gigogne, Pierrot et Pierrette, Paysan et Paysanne. Cette formule trop coûteuse et dont la manipulation n’est pas aisée est vite arrêtée. Seules deux planches ont été diffusées, celles de La Bionni et de La Griel.

Le Sieur de La Cuisse va s’entourer de graveurs de renom ou issus d’une communauté proche de la cour, ce qui n’est pas le cas de Landrin et de Lahante, maîtres de danse un temps associés dans la publication d'une série. Les différences de qualité de gravure sont frappantes selon les séries. L’étude des privilèges montre également une participation active des graveurs : le privilège du Répertoire des bals est ainsi déposé par le graveur Delafosse et non par de La Cuisse. Cette découverte montre un rôle plus important que ce qui avait été envisagé jusqu’ici pour les graveurs.

Landrin, maître de danse, grave lui-même une grande partie de ses partitions, ce qui n’est pas un phénomène nouveau (GLON, 2014). Il cherche aussi à éviter les contrefaçons quand Bouin vient à copier une partie de son répertoire. Bouin fait appel à sa fille, Mlle Bouin, qui n’est pas toujours mentionnée mais qui progresse au fil de la publication des volumes. Le graveur Coulubrier, principalement graveur en géographie, entreprend de lancer sa propre collection, grâce notamment à l’aide de son épouse, Mme Coulubrier, graveuse en musique et fréquemment créditée sur les pages de titre ou les pages dédiées à la partition musicale. Ce sont aussi des graveuses en sciences et en musique qui participent largement de cette entreprise éditoriale, telle Mme Croisey dont les planches sont aisément reconnaissables par leur finesse. La collaboration entre graveurs et maîtres de danse a été abordée par Sylvie Granger (GRANGER, 2019)à travers le cas de Jean Robert,  pour le Répertoire des bals de 1763. Les sources sont cependant très lacunaires.

La mise en commun d’un très grand nombre de feuilles et de recueils entend en partie pallier l’absence de sources archivistiques sur des graveurs qui ont laissé peu de traces, et parfois peu de signatures. A ces très nombreux noms de graveurs s’ajoute un invariant majeur : Madame Castagnery qui tient librairie « A la musique royale », rue des Prouvaires. Les archives la concernant sont malheureusement rares. Fille de luthier, elle dispose d’une librairie dont l'inventaire indique la présence de 4095 partitions de contredanses, à sa mort en 1787.  Peu après sa mort et peu avant la Révolution apparaît un changement de modèle éditorial qui se passe désormais des « plans de la danse » et recourt à la typographie et à d’autres techniques pour des partitions plus succinctes, éditées en grande partie chez Frère. Nous avons fait le choix d’arrêter la base en 1788, même si certaines danses sont difficiles à dater, pour ne conserver que les partitions vendues chez Mme Castagnery ou sur un même modèle.

Circulation des partitions et historiographie des danses anciennes

Les recueils rassemblés ici contiennent parfois les traces de leurs propriétaires (de Marguerite Barilliet, boulangère à Versailles à Marie-Antoinette d'Autriche) et de leur circulation : nous avons tant que possible mentionné ces traces, que ce soit les annotations des danses, contemporaines de leur publication ou plus tardives, ou les ex-libris et divers noms apposés. Ces marques offrent une somme d’informations remarquable pour étudier la circulation de ces danses et recueils : nous espérons ici proposer plusieurs pistes de recherche.

Les collections ainsi constituées par  Laure Fonta (1845-1915) ou encore Cia Fornaroli (1888-1954) sont ici représentées. La première est danseuse à l’Opéra de Paris et se passionne pour l’histoire de la danse à partir des fonds de la Bibliothèque de l’Opéra. Elle monte plusieurs « divertissements rétrospectifs » en 1878 et 1879 à partir de partitions de danses anciennes et notamment des titres de « pots pourris » édités par Landrin.  On lui doit aussi l'ouvrage intitulé Les Danses de nos pères. Reconstitution des anciennes danses des XVIIe et XVIIIe siècles avec gravures théorie, musique réglées pour amateurs à l'usage des salons par Madame Laure Fonta... 

Cia Fornaroli est quant à elle une ancienne élève d’Enrico Cecchetti, maître de ballet à la Scala de Milan, également passionné de notation chorégraphique. Danseuse au Metropolitan Opera de New York, elle constitue une collection d'estampes, de manuscrits et d'imprimés anciens relatifs à l’histoire de la danse, et aujourd’hui conservés à la New York Public Library (Jerome Robbins Dance Division).

Ce sont ainsi des pistes historiographiques que souhaiterait proposer la base de données, en invitant à saisir les temporalités multiples qui se jouent dans la parution et la circulation de ces danses en feuilles. Des « contredanses nouvelles » aux « divertissements rétrospectifs », ces partitions témoignent d’une fluctuation du goût et d’une manière d’envisager la pratique et l’histoire de la danse, jusqu’aux reprises actuelles, que le base espère également nourrir aujourd’hui.

Navigation

Vous pouvez naviguer : 

  • par séries éditoriales : à ce jour, dix séries sont référencées, avec trois principales : le Répertoire des bals publié par de La Cuisse, la collection des danses éditées par Landrin et la collection des danses de Bouin.
  • par titres des danses : issues des séries citées ci-dessus.  Quand nous connaissons l'existence d'une danse mais que nous n'en avons pas retrouvé d'exemplaire, la notice porte le titre [Non identifiée].
  • par acteurs impliqués dans la création de ces danses, qu'il s'agisse de maitres de danse, musiciens, graveurs, éditeurs, dédicataires. Les notices seront enrichies progressivement. 
  • par recueil : sont présentés ici des recueils conservés en France et aux Etats-Unis, aussi bien des recueils éditoriaux que des recueils factices, avec quelques cas de feuilles volantes issues de recueils défaits. 

L'icône "Notices liées" permet de passer d'un recueil aux titres des danses qu'il contient, aux titres génériques, puis aux différents exemplaires d'une même danse. 

La recherche par titre, nom ou mots-clés peut se faire via la "Recherche avancée" et la requête "contient" pour les termes choisis (et non "exactement"). 

Remerciements 

De nombreuses numérisations de recueils sont actuellement en cours et viendront progressivement remplacer les images de travail. 

Nous remercions vivement les institutions qui nous ont accueillies et aidées dans nos recherches, et ont entrepris des numérisations pour la base. 

  • France
    • Lyon, Bibliothèque municipale
    • Orléans, Bibliothèque municipale
    • Paris 
      • Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque-Musée de l'Opéra
      • Bibliothèque nationale de France, Département de la Musique
      • Bibliothèque nationale de France, Département des Arts du Spectacle
      • Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque de l'Arsenal
      • Bibliothèque de l'Institut national d'Histoire de l'Art
    • Périgueux, Bibliothèque municipale
    • Toulouse, Bibliothèque d'études et du patrimoine 
    • Versailles, Bibliothèque municipale
  • Etats-Unis